« Perhaps the most significant development in the imagery produced by Australian Aboriginal people during the last sixty thousand years, has been the access to “modern” media and technology. (…) the use of contemporary technology gives Aboriginal artists the opportunity to communicate matters, important to them, on a much greater scale than ever before. »
Lin Onus, 1992
Introduction
Il y a plus de 50 000 ans, des Aborigènes employèrent leurs mains comme des matrices, qu’ils enduisirent ou sur lesquelles ils projetèrent de l’ocre, pour les apposer sur des parois de roc. Ils donnèrent ainsi naissance à l’une des plus anciennes expressions plastiques de la planète.
En 1965 Kevin Gilbert, un activiste politique, grave en prison les premières estampes aborigènes connues, quelques linogravures, faites sur le sol d’une cuisine avec un substitut d’encre de fortune.
L’estampe aborigène ne naît pas par hasard.
En 1984 a lieu, à Adelaide, une exposition d’une importance capitale. Old Messages, New Media présente au public des estampes et dessins provenant des « tiers et quart-mondes », expressions de ceux qui ne sont pas aux pleines commandes de leur devenir. Des œuvres nord-américaines, sud-africaines, papouasiennes et aborigènes se répondent dans un même lieu, où les premières productions australiennes côtoient celles qui favorisèrent leur apparition à la fin des années 1960, les estampes inuites. Les techniques utilisées sont alors principalement celles du dessin, sur pierre (lithographie) ou sur acétate (sérigraphie).
La notion de quart-monde est pertinente dans l’approche de ce phénomène de réappropriation. Les débuts de l’art aborigène sont certes économiques, mais aussi politiques. En 1967, les peuples aborigènes se voient reconnaître le droit d’être considérés comme australiens. En 1971, la présence de Geoffrey Bardon à Papunya est l’élément déclencheur du mouvement contemporain aborigène. Un an plus tard est installée à Canberra, devant le parlement, la tente militante de l’Ambassade Aborigène, toujours en place aujourd’hui. Dans ce climat fort de revendication et de quête de justice sociale, humaine et culturelle, l’estampe porte l’espoir d’une parole ouverte et démocratique, multiple et accessible à tous.
Les débuts
Les premières épreuves voient le jour au nord du pays. En 1968, l’évêque catholique de Darwin, John O’Loughlin, inspiré par les exemples inuits, décide d’initier sur l’île de Bathurst une démarche d’expression par l’estampe. L’année suivante, Madeline Clear, artiste et professeur, est invitée à se consacrer à la direction d’ateliers de gravure. Les premiers artistes à expérimenter cette technique sont Giovanni Tipungwuti et Bede Tungutalum, connu comme le premier véritable graveur aborigène. Ensemble, les deux hommes créent, quelques années plus tard, Tiwi Designs, un centre d’art spécialisé dans l’impression textile, à partir de matrices représentant oiseaux et animaux. L’estampe est encore un moyen privilégié de diffusion des motifs, avant d’être une forme d’art autonome.
Presque simultanément, en 1970, les premières tailles d’épargne sont gravées en Terre d’Arnhem. Ici comme à Bathurst, une longue tradition du travail du bois, liée la dense végétation, favorise l’appropriation du nouveau médium. Ces exemples restent souvent isolés, et figurent au rang des incunables. Beaucoup de planches ne seront imprimées que bien plus tard, lorsque l’engouement pour l’estampe devint un phénomène majeur.
C’est en 1979 que l’histoire prend une dimension nouvelle, dans les ateliers de Port Jackson Press. David Milaybuma et Johnny Bulun Bulun, originaires de la communauté de Maningrida (Terre d’Arnhem), deviennent les premiers artistes aborigènes à créer des estampes dans un atelier dédié exclusivement à l’expression artistique. Quelques années plus tard, en 1983, Bulun Bulun collabora avec l’artisan-imprimeur Theo Tremblay à l’école d’art de Canberra, pour donner naissance à quelques unes des planches les plus emblématiques de l’histoire de l’art aborigène. La technique employée est alors la lithographie. Difficiles à manipuler, incompatibles avec le climat australien, les pierres seront rapidement abandonnées au profit de la sérigraphie ou de la gravure.
En 1981, Port Jackson Press organise les premières sessions de travail auprès des communautés du désert.
Nothern Editions
L’année 1992 marque un tournent majeur avec la naissance d’un atelier d’édition et d’impression dédié à l’estampe aborigène au sein de l’université de Darwin (NTU). George Watt, Leon Stainer et Frank Gohier (fondateur de Red Hand Editions en 1997) développent, pendant quatre ans, un programme actif visant à promouvoir et favoriser l’expression par la gravure au sein des communautés, sous le nom d’Aboriginal and Torres Strait Islander Print Workshop (ATSIPW, aussi désigné par les initiales NTUPW). L’exposition New Tracks-Old Land présentée en Australie et aux États-Unis à cette même date devient le manifeste du mouvement naissant et établit définitivement l’importance capitale de ce nouveau médium au sein de l’art contemporain aborigène.
Dans ce contexte, un important colloque est organisé du 19 au 22 avril 1993 à Darwin, Getting Into Prints. Regroupant des imprimeurs, historiens, conservateurs et marchands, il offre tout autant un support essentiel au développement qualitatif de l’estampe aborigène qu’il garantit sa reconnaissance institutionnelle. A cette date, les collections nationales australiennes s’élèvent à environ six cents pièces.
Le programme universitaire ATSIPW connaissant un certain succès, il se réorganise à partir de 1996 avec l’arrivée à sa tête de Basil Hall, pour devenir en 1997 Nothern Editions. Des dizaines d’ateliers temporaires sont menés à travers tout le pays, les imprimeurs transportant leur matériel, presses portables, matrices, encres, papiers et outils directement dans les communautés. L’estampe du désert se développe et les grands noms à l’origine de la reconnaissance de l’art aborigène contemporain s’expriment par la gravure. La taille-douce devient la technique la plus largement utilisée aux côtés de la sérigraphique, et les œuvres sur zinc, profondément mordues, se multiplient.
En 2002, Basil Hall quitte la direction de Nothern Editions pour créer Basil Hall Editions (BHE). Favorisant la continuité de travail entre le programme du NTU et ses clients historiques, il permet à de nouveaux centres d’art de s’essayer à la gravure, tout en collaborant avec les plus grands artistes australiens. Défenseur d’une estampe de qualité, il est à l’origine de quelques unes des plus grandes entreprises édi]toriales aborigènes, comme directeur de Nothern Editions (série des portes de Yuendumu en 2001) ou de BHE avec la réalisation des monumentaux Garma Panel en 2003 (à l’invitation de la Yothu Yindi Foundation) et Desert Mob Panels en 2010, regroupant quarante gravures sur bois, de quarante artistes de quarante centres d’art différents à travers le pays.
Bibliographie sélective /
ONUS, Lin, MCGUIGAN, Chris, NEWSTEAD, Adriaen, TREMBLAY, Theo, New Tracks – Old Land : contemporary prints from Aboriginal Australia, cat. expo., 1992
Coll., « Getting into Prints » : A Symposium on Aboriginal Printmaking, Darwin, ANCAAA and School of Fine Arts NTU, 1993
HALL, Basil, DODSON, Mick, MUNDINE, Djon, Etched in the sun : Prints made by Indigenous artists in collaboration with Basil Hall & Printers 1997-2007, cat. expo., Canberra, ANU Drill Hall Gallery (25 septembre-2 novembre 2008), 2008