Maitrisée depuis plus de mille ans en Asie, l’estampe ne se développe en Europe que vers l’extrême fin du XIVème siècle. La datation des matrices reste imprécise, et les tirages anciens conservés, postérieurs, permettent surtout de démontrer l’exclusivité de la technique de gravure sur bois et l’importance des sujets religieux.
Le XVème siècle voit la naissance de la gravure en creux sur plaque de cuivre au burin, puis à l’eau-forte et avec elle l’idée progressive d’une estampe de peintres-graveurs. L’ensemble des techniques coexistent, le bois conservant un lien étroit avec les images de piété et servant à l’illustration des livres. De grands noms émergent dans chaque médium, Durër (1471-1528) et Claude Mellan (1598-1688) pour le burin, Rembrandt (1606-1669), Jacques Callot (1592-1635) pour l’eau-forte. Le souci de nuancer le manichéisme d’une expression faite de lignes noires sur un papier blanc entraîne la découverte de méthodes capables de rendre les effets de surface des lavis d’encre et la vibration d’un croquis. Les « manières de crayons » sur cuivre connaissent un grand succès, tandis que la mise au point de la manière noire puis de l’aquatinte offrent des possibilités d’aplats nuancés, autrefois réservés aux gravures sur bois.
La fin du XVIIIème siècle est marquée par la naissance de deux techniques intimement liées à l’illustration, le bois debout, permettant une grande finesse de traitement, qui se généralise dans l’industrie naissante du livre au début du XIXème siècle, et la lithographie. Découvert en 1797 par Aloys Senefelder (1771-1834), ce procédé reposant sur les propriétés de l’encre grasse et du calcaire bavarois ouvre des perspectives inédites dans la transcription du trait « crayonné » de l’artiste. Les premiers romantiques, Delacroix (1798-1863), Géricault (1791-1824), désireux de se libérer d’une interprétation néo-classique dominée par la rigide exactitude du burin académique, en explorèrent les amples possibilités de nuance. Avec la naissance des premiers journaux satiriques illustrés, la forte capacité de tirage et la fluidité d’exécution de ce dessin sur pierre lui vaut les honneurs de grands caricaturistes, Daumier (1808-1879), Gavarni ou Cham. Les illustrateurs, parmi lesquels Gustave Doré (1832-1883), lui préfèrent souvent le bois qui leur impose de confier leurs dessins, parfois réalisés à même la matrice, à des praticiens spécialisés.
Le concept d’estampe d’interprétation, qui définit le recours à un modèle préexistant que l’artiste-praticien a pour but de transcrire, perd progressivement en importance au XIXème siècle au profit de l’estampe dite « originale », créée par l’artiste à travers ce médium. Si le phénomène est bien antérieur et intimement lié aux débuts même de l’estampe, la proportion atteinte sur cette période est en soi significative. La gravure devient le vecteur d’une certaine revendication avant-gardiste. Bien avant les feux impressionnistes, dans la discrétion des ateliers et des salons, des œuvres d’un modernisme éclatant forgent en filigrane le goût d’un temps pour l’audace et la recherche plastique.
Le XXème siècle voit l’importance croissante accordée aux procédés de reproduction industriels (offset), et la naissance d’une technique à mi-chemin de l’estampe et du pochoir, la sérigraphie. Utilisée aussi bien sur toile (Andy Warhol) que sur papier, elle connut un grand succès à travers le monde et notamment en Australie, où de nombreux artistes aborigènes décidèrent de s’en emparer.
Aux marges d’une matérialité qu’elle a sans cesse questionnée, l’estampe pousse toujours plus loin la limite de ses définitions. A l’heure du concept dématérialisé, des œuvres numériques tendent à se faire une place parmi les techniques traditionnelles, dépendantes d’une matrice tangible les protégeant sur la frontière ténue du statut d’image.
De ces interrogations naitront les champs d’expression de demain, dans la longue et vertueuse survivance de l’art.